Nuits Étoilées: Pensées et Émotions à l’Aube

3 heures du matin.

Réveil.
Comme toujours, comme chaque jour.
Même au foyer, je me réveillais sans faute.
Mais je ne pouvais pas connaître l’heure :
les téléphones étaient interdits.

Chaque nuit, la même histoire.

Je devais me fier à la lumière de la lune.
Je fumais encore, à l’époque. Je me levais doucement,
je sortais sur le balcon pour ne pas réveiller Linda et Bruno.
Je restais là, bloquée dans mes pensées.

Mais il n’y avait pas grand-chose à penser.
Enfin… il y avait trop à penser,
mais rien à faire.

Alors je regardais le ciel étoilé.
Les goélands, invisibles, cachés sur le toit de l’école d’en face,
prêts à plonger dans les poubelles
ou dans la piscine du gymnase tout proche.

J’avais appris à lire l’heure à la position de la lune.
C’était ma montre lunaire. Précise. Froide.

Aujourd’hui encore, je me réveille à 3 heures.
Pourquoi ?
Quelqu’un a une idée ?

La place vide : Un symbole d’amour et d’espoir

Il y a une place vide sur le canapé.
Il y a une place vide dans ce grand espace.

D’un côté, il y a Momo.
De l’autre, il y a Pucci.
Et moi, je suis au milieu.

Et pourtant,
il y a une place vide : la tienne.

L’absence de ton être manque.
Tu remplis l’espace,
l’esprit,
le cœur.
Tu es.

On regarde la porte.
On regarde la fenêtre.

On espère te voir surgir soudain,
plutôt que de t’imaginer allongée sur ce lit,
dans un hôpital stérile,
incapable de te donner notre chaleur —
celle dont tu aurais tellement besoin,
maintenant.

Tu reviendras peut-être en morceaux.
Avec de nouvelles fissures,
des fautes mal recousues,
et des silences plus larges que tes poches.

Pas besoin d’excuses.
Ni de fleurs. Ni d’explications.
Si tu reviens, il me suffit que tu t’assoies.
Même en silence. Même de travers. Même pour un instant.

Et si tu ne reviens pas ?
Je t’aimerai quand même.
À distance. En absence. En différé.

Parfois, l’amour, c’est ça :
pas un pont,
mais une chaise laissée là
pour celle qui, un jour,
pourrait avoir froid.

Lettre à ma fille : un appel à la vie

à ma fille – pour Néa

Je te vois.
Avec ces yeux qui parfois veulent disparaître,
baissés, fatigués,
comme si regarder le monde faisait trop mal.

Je te vois là, entre deux mondes.
Entre le plus jamais et le pas encore,
dans ce silence suspendu
de celles qui retiennent leur souffle,
en espérant que la faim passe,
que la chair s’efface,
que l’âme suffise.

Et je sais.
Car moi aussi, j’y suis passée.
Moi aussi, j’ai cru que me vider
me rendrait plus vraie,
plus légère,
plus digne.

Mais mon amour,
l’âme a besoin d’un abri.
Et cet abri, c’est toi.
Avec ton sang,
avec ta chair,
avec tes mains qui tremblent
et ta voix qui dit « stop ».

Je t’aimerai toujours.
Toujours.
Même si tu restes fermée,
même si tu t’arrêtes,
même si tu choisis de ne pas te montrer.

Mais mon amour ne suffit pas
à te garder en vie.
Si tu ne manges pas,
le « toujours » s’use,
et risque de devenir « jamais ».

Moi, je veux que tu sois toujours.
Pas une ombre.
Pas un souvenir.
Pas un écho.

Que tu sois chair,
et voix,
et corps en marche.
Que tu restes.
Même si c’est juste pour dire :
« Aujourd’hui je n’y arrive pas. Mais peut-être demain. »

Et moi, je serai là.
Non pas pour te faire fleurir maintenant,
mais pour attendre ce jour-là.

Celui où, sans hâte,
tu déboucheras la bouteille
où tu as enfermé ton âme.

Et tu la laisseras danser.

Retour à la Réalité : Entre Chaos et Normalité

Quand on nous a dit qu’on pouvait retourner à la chambre d’hôtes pour récupérer nos affaires, j’ai cru que c’était une récompense.
Comme si, pour une raison obscure, on nous concédait une pause dans un jeu cruel dont personne ne semblait connaître les règles.

On avait peu de temps : ils nous attendaient avant 19 heures, comme si la nuit pouvait nous exclure pour toujours.
J’ai couru entre les draps défaits, les sacs à moitié pleins d’une vie encore normale, pour récupérer des vêtements, des dessins, un livre, un nounours, la brosse pleine de cheveux de Linda.

Je ne me rappelle plus ce que j’ai laissé.
Je sais juste que je courais avec une faim au ventre, une urgence qui n’était pas que dans l’horloge, mais dans le besoin de redevenir, même une heure, celle que j’étais avant.


À notre retour, cette parenthèse s’est refermée comme une barrière métallique claquée d’un coup sec.
Nos affaires – ces choses, les nôtres – se sont répandues dans l’entrée du foyer comme une explosion domestique : sacs de courses débordants, plastique tendu à craquer, chaussettes qui dépassaient des poignées comme des fleurs froissées.

Pas de valises, seulement des sacs et de la précipitation.
Et là, au milieu de cette montagne improvisée, une voix féminine – Claudia, je crois – a lâché avec un mélange de surprise et d’agacement :

« Mais c’est quoi tout ce bordel que vous avez ? »

Minchia.
Un mot qui rebondit dans l’air palermitain comme une mouche, qui revient toujours, se pose sur tout.
Et que, sans m’en rendre compte, j’allais adopter moi aussi.
Ma putain sicilienne personnelle.
Un drapeau planté sur le balcon de cette nouvelle réalité.


Le soir, ce fut le vrai plongeon en enfer.
La salle à manger n’avait qu’une seule table, longue, centrale, pensée pour réunir tout le monde, mais qui semblait conçue pour séparer plus que pour unir.

Elle était trop haute pour moi.
Alors on nous installa à part, sur une petite table basse, une table d’école primaire, placée dans un coin, presque par hasard.

Moi, Bruno et Linda étions là, immobiles, les jambes tordues, les mains posées, retenant notre souffle.
Manger était impossible.
On avait peur que le moindre geste nous fasse remarquer.

Autour, quatorze personnes se hurlaient dessus, lançaient des piques, des ricanements acérés, des insultes, dans un sabir que je comprenais à moitié mais qui me blessait entièrement.

Une cacophonie continue, un théâtre instable où les voix étaient des couteaux et chaque repas un champ de bataille.

Et cet endroit — ce n’était pas juste laid.
C’était infâme.

Pas à cause de ceux qui y vivaient – chacun traînait son enfer –
mais à cause de la façon dont on nous avait jetés là,
nous trois,
comme trois chats abandonnés sur l’autoroute.

Sans abri.
Et sans personne pour ralentir.


Et pourtant, le lendemain matin, j’eus un de ces élans qu’on ne connaît que sur le bord du précipice.
Je me levai tôt de mon lit–berceau – un vieux canapé à ressorts qui m’avait chanté des berceuses de rouille toute la nuit – et j’allai dans la cuisine.

Elle était vide.
Silencieuse.
Sacrée.

J’avais récupéré un peu de tout : pain, lait, biscottes, confiture, café soluble, beurre, quelques œufs.
J’ai mis la cafetière sur le feu et j’ai commencé à préparer le petit-déjeuner avec l’enthousiasme d’une déléguée de classe en sortie scolaire.

Peut-être que je voulais croire que c’était ça, justement : une excursion.
Une anomalie douce avant le retour à la normale.

La table se remplissait : assiettes, tasses, serviettes chipées dans un tiroir oublié.
J’avais un sourire à deux cents dents, celui de quelqu’un qui ne sait plus où il est mais qui a décidé de faire de cette demi-heure une fête.


Puis, derrière moi, une voix plate, sans yeux ni bouche, m’a simplement dit :

« La nourriture ne se gaspille pas. »

Un reproche, ou peut-être juste un rappel administratif.
Je ne sais pas.
Mais je l’ai pris au sérieux.

Je me suis assise.
Et je n’ai plus jamais cuisiné.
Et je n’ai plus jamais préparé un vrai petit-déjeuner comme celui-là. Jamais.


C’est aussi ce jour-là que je l’ai remarqué :
un mouchoir en papier collé sur le frigo avec du scotch.
Dessus, les jours de la semaine, et les prénoms des femmes du foyer.

Juste en dessous, un autre bout de papier froissé, avec les noms des garçons.
Le premier, c’étaient les tours de ménage – cuisine, salle de bain, salon.
Le second, ceux qui devaient mettre la table.

J’ai pensé :
« Waouh, c’est chouette ! Ce sont eux qui font les tâches ! »

Jamais je n’aurais imaginé que
mon nom y serait inscrit aussi.

Linda : Une Étoile en Pause

Linda, c’était la lumière. Celle qui entrait dans une pièce et changeait tout. Elle riait fort, courait partout, faisait des blagues à tout le monde. Elle se faisait des amis en dix secondes. Elle chantait, elle dessinait, elle apprenait vite. Tout ce qu’elle touchait devenait vivant.

À l’école, en France comme en Italie, les professeurs disaient toujours la même chose : « Elle est brillante. Sérieuse. Attentive. Talentueuse. » Linda levait la main avec confiance, aidait les autres sans qu’on lui demande. Elle adorait les exposés oraux, les spectacles de fin d’année, les chorales. Elle rayonnait.

Quand on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard, elle répondait : « La Star ! » avec ce sourire large, irrésistible. Et c’était vrai. Elle aurait pu le devenir. Elle le peut encore. Elle a tout en elle. Tout.

Mais quelque chose s’est cassé.

Un jour, elle a été bloquée à Palerme. Elle n’a pas pu rentrer. Elle a dû finir l’école primaire là-bas, loin de ses repères, de sa langue, de sa chambre, de ses dessins sur les murs. C’est là que les choses ont commencé à changer. Lentement. Insidieusement. Elle ne chantait plus. Mais elle continuait à dessiner, comme si c’était son dernier fil avec elle-même. Un jour, elle m’a offert une rose dessinée à la main. Précise, délicate, pleine d’ombres et de lumière. Je l’ai gardée. C’était sa voix, mais sans mots. Elle devenait silencieuse. Moins vive. Comme si une partie d’elle avait décidé de s’éteindre un moment.

Je ne sais pas si c’est de ma faute. Du père. Du covid. De Palerme. Des foyers. Ou du monde entier. Je sais juste qu’un jour, son rire s’est tu. Et que tout est devenu plus silencieux autour d’elle.

Mais je me souviens de sa main dans la mienne. De sa voix qui chantait le matin dans la cuisine. De ses dessins qui remplissaient les murs de notre maison. Je me souviens de ses yeux brillants quand elle lisait ses textes à voix haute, avec fierté.

Un jour, je lui ai demandé : « Tu te souviens quand tu voulais être une star ? » Elle m’a regardée, sans répondre. Mais ses yeux, eux, disaient qu’elle s’en souvenait.

Linda n’est pas perdue. Elle est en pause. Juste ça. Une étoile qui ne brille pas fort en ce moment, mais qui ne s’est jamais éteinte.

Et moi, je ferai tout pour qu’elle retrouve sa lumière. Sa voix. Son feu. Même une étincelle suffira.

Qu’elle devienne une star. Ou une étoile discrète. Ou simplement une enfant libre. Elle le mérite. Elle l’est, déjà.

« Salut, quand et si un jour on nous sépare, regarde cette fleur pour te sentir mieux :)
Pour ma maman, de la part de Linda. »

Bruno, Mon Petit Bijou

On l’a toujours appelé «mon petit bijou». Pourtant, Bruno n’est pas petit. Bruno est grand. Immense, même. Mais ce surnom n’a jamais parlé de sa taille. Il parle de sa fragilité précieuse, de sa douceur à protéger, de sa manière à lui de briller doucement, sans faire de bruit.

Bruno a toujours eu peu d’amis. Peu, mais solides. Ceux-là ne sont jamais partis. Il les a gardés, doucement, comme on garde des trésors.

Bruno n’a jamais été comme les autres. On disait qu’il avait son propre monde, sa propre manière d’exister. Peu importait ce que les autres pensaient. Moi, je savais.

Depuis toujours, Bruno choisit de rester avec moi. C’était son choix, clair, définitif, même quand on est entrés dans ce foyer. Il avait presque 18 ans. Il aurait pu refuser, dire non, rester dehors. Mais il ne l’a pas fait. Il est venu avec moi, comme toujours.

Quand il était petit, il dormait à côté de moi, il cherchait mon bras, ma présence. Il avait besoin d’être rassuré, et moi, j’avais besoin de lui. Entre nous, pas besoin de parler. Un regard suffisait. Un geste minuscule, une respiration, et tout était déjà dit. Tout était déjà compris.

Quand Néa est revenue vivre avec nous, tout était fragile. Je ne pouvais pas être partout. Alors Bruno a pris le relais. Il veillait sur elle la nuit, silencieusement, comme un gardien discret mais solide. Il restait éveillé, attentif, pour être sûr qu’elle ne se fasse pas de mal. Et quand le jour revenait, il allait enfin dormir. Là, c’était mon tour. Personne n’aurait imaginé que ce geste d’amour serait interprété par les services sociaux comme une adultisation. Lors d’une rencontre, j’ai entendu une psychologue dire : « Pauvre garçon, il n’avait aucun repère, il devait jouer le rôle du père et de la mère. »

Bruno aime profondément les jeux vidéo. C’est son univers, son refuge. Pourtant, quand on est entrés dans le foyer, il a dû tout laisser derrière lui : son ordinateur, ses jeux, ses habitudes. Il n’a jamais protesté. Pas une plainte, pas un reproche. Il avait choisi. Il nous avait choisies.

Il est resté avec nous, il a tenu bon. Il a toujours été là. Bruno, mon fils, mon allié silencieux. Mon petit bijou.

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Il était mon calme dans le chaos. Mon ancre dans la tempête.

Derrière l’écran, un cœur immense. Derrière le silence, un amour sans faille. Bruno.

Maternité et Souffrance : Récit d’une Nuit Fatidique

Néa était sortie de l’hôpital depuis quelques jours. On était encore chez le grand-père. Une prison propre, un mausolée où rien ne devait bouger. Pas d’odeur, pas de bruit, pas de vie. Deux anorexiques dans un appartement où il était interdit de cuisiner.

Je me suis dit : une soirée dehors. Pas un caprice. Une bouffée d’air. Le pub à quelques mètres. J’ai dit à Néa et Linda de ne pas éteindre leur téléphone. J’ai dit : je reviens tout de suite.

À 22h30, j’appelle pour qu’on m’ouvre la porte. Personne ne répond. Le téléphone est éteint. Alors j’appelle le grand-père.

Et c’est là que tout bascule. Il crie. Il insulte. Il me dit que j’ai abandonné mes enfants. Que je suis ivre. Que je suis une mère indigne. Je hurle que je suis sobre, que je veux juste dormir en paix. Je pars à pied dans la nuit, sans avoir prévu de chambre. J’entre dans plusieurs hôtels, mais ils sont pleins. Enfin, j’en trouve un. Un bel hôtel. 78 euros. Je m’en souviens parfaitement. Avec une chambre dotée de spa, de baignoire à remous. Le luxe, le silence, la fuite.

J’ai pensé : demain matin, un bain, peut-être un peu de calme.

Mais ce n’est pas ce que j’ai trouvé. En pleine nuit, la police défonce la porte. Je suis nue sous le drap. Ils entrent. Ils posent des questions. Ils disent qu’il y a un danger. Ils disent que j’ai laissé mes filles. Que j’ai voulu me suicider. Qu’on m’accuse.

Et je ne peux rien dire. Parce que tout est tordu. Parce qu’on prend mes silences pour de la fuite. Mes choix pour des fautes.

Je ne l’ai pas abandonnée. Je voulais juste une nuit de répit. Une nuit sans cris. Une nuit pour respirer. Je voulais la bénir. Mais on m’a bannie.


Un autre jour, un autre matin, elle s’est montrée comme ça.

Sans cri. Sans plainte. Juste ce regard-là. Comme si elle disait : Vous avez oublié que j’existe ? Alors regardez-moi maintenant.

Introduction

Ce blog n’est pas celui d’une femme au foyer.

Le mot foyer ici n’évoque ni le confort d’un intérieur ni le choix d’une vie familiale tranquille.
Il s’agit d’un foyer d’accueil, une communauté pour femmes victimes de violences, dans laquelle une mère française a été envoyée avec ses enfants.
Pas coupable. Pas prévenue. Pas informée. Juste placée. Juste « Cédée » (CD).
Dans un pays étranger, sans explication claire, au milieu d’un chaos administratif, judiciaire et humain.

Ce journal raconte cette dérive.
Jour après jour, dans une chambre partagée initialement avec trois inconnus, une mère tente désespérément de comprendre pourquoi elle est là, ce qu’on lui reproche, et comment sortir de cette situation avec tous ses enfants, car au moins une chose lui est claire : on ne veut pas seulement lui prendre Néa, on veut les lui enlever tous.

C’est une histoire vraie, mais aussi un récit à lire comme un roman.
Avec des personnages réels, du suspense, et une seule envie pour vous, lecteur : comprendre comment cela a pu arriver, et surtout, comment cela va se terminer.

Bienvenue dans ce journal.
Bienvenue dans le flou, le silence, et l’absurde.