Néa était sortie de l’hôpital depuis quelques jours. On était encore chez le grand-père. Une prison propre, un mausolée où rien ne devait bouger. Pas d’odeur, pas de bruit, pas de vie. Deux anorexiques dans un appartement où il était interdit de cuisiner.
Je me suis dit : une soirée dehors. Pas un caprice. Une bouffée d’air. Le pub à quelques mètres. J’ai dit à Néa et Linda de ne pas éteindre leur téléphone. J’ai dit : je reviens tout de suite.
À 22h30, j’appelle pour qu’on m’ouvre la porte. Personne ne répond. Le téléphone est éteint. Alors j’appelle le grand-père.
Et c’est là que tout bascule. Il crie. Il insulte. Il me dit que j’ai abandonné mes enfants. Que je suis ivre. Que je suis une mère indigne. Je hurle que je suis sobre, que je veux juste dormir en paix. Je pars à pied dans la nuit, sans avoir prévu de chambre. J’entre dans plusieurs hôtels, mais ils sont pleins. Enfin, j’en trouve un. Un bel hôtel. 78 euros. Je m’en souviens parfaitement. Avec une chambre dotée de spa, de baignoire à remous. Le luxe, le silence, la fuite.
J’ai pensé : demain matin, un bain, peut-être un peu de calme.
Mais ce n’est pas ce que j’ai trouvé. En pleine nuit, la police défonce la porte. Je suis nue sous le drap. Ils entrent. Ils posent des questions. Ils disent qu’il y a un danger. Ils disent que j’ai laissé mes filles. Que j’ai voulu me suicider. Qu’on m’accuse.
Et je ne peux rien dire. Parce que tout est tordu. Parce qu’on prend mes silences pour de la fuite. Mes choix pour des fautes.
Je ne l’ai pas abandonnée. Je voulais juste une nuit de répit. Une nuit sans cris. Une nuit pour respirer. Je voulais la bénir. Mais on m’a bannie.
Un autre jour, un autre matin, elle s’est montrée comme ça.
Sans cri. Sans plainte. Juste ce regard-là. Comme si elle disait : Vous avez oublié que j’existe ? Alors regardez-moi maintenant.

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